Néo-conservateurs: idéalistes ou réalistes?
Jack a soulevé ici la question de savoir si les néo-conservateurs américains sont des idéalistes ou plutôt des réalistes. Je pense que les néo-conservateurs sont plus proches des idéalistes que des réalistes traditionnels. De mon côté, je m'étais prononcé en faveur de ce que j'ai appelé un "Bismarckisme néo-conservateur" par opposition au "réalisme Wilsonien" pour lequel plaide Fukuyama. Je vais essayer de m'expliquer, bien qu'il me manque les fondements "scientifiques" et théoriques pour que cela soit exhaustif et précis. Prenez-le comme un dévelopment de pensée. Panta rei, comme disait l'autre. Dans ma compréhension, l'école réaliste traditionnelle est celle qui est guidée uniquement par ce qui sert l'intérêt national. La situation interne d'un État tiers n'interesse en principe pas le réaliste tant qu'elle n'a pas d'impact sur sa propre situation, cas exceptionnel s'il en est. Les États tiers sont perçus en somme comme des entités sans vie intérieure. Le réaliste n'a en outre pas forcément une perception très flatteuse des relations internationales, puisque tous les Etats agissent "par nature" de manière égoïste et nullement morale ou altruiste. La guerre est vu comme un moyen légitime d'action comme tous les autres et n'est pas forcémment mauvaise. Le "Balance of power" que je mentionnais ailleurs ou un équilibre stable basé par exemple sur des traités bismarckiens sert alors l'intérêt national puisque cela permet de maintenir un ordre prévisible "avec lequel on peut travailler". L'hégémonie d'un État sera alors toujours perçue comme une menace. Comme le disait Kissinger: "An international order that can be preseved only by force is precarious." Kissinger ne croit d'ailleurs pas que les Etats-unis aspirent ou devraient aspirer à une véritable hégémonie car cela serait contraire à leurs propres intérêts. La situation interne d'un pays est donc indifférente au réaliste tant que la politique extérieure de ce pays n'en est pas affectée. C'est pourquoi on s'arange aussi avec des tyrans s'il le faut. La seule chose qui importe, c'est l'intérêt national. Cela ne dit bien sûr encore rien sur son contenu spécifique. Mais l'intérêt national, une fois défini, l'emporte sur toutes les autres considérations, notamment aussi sur celles d'ordre légal international (c'est pourquoi c'est le droit international est limité par des considérations "réalistes" et non l'inverse). Je ne m'avance probablement pas beaucoup en affirmant que l'école réaliste a dominé les relations internationales de la plupart des époques. Cet ordre a été formalisé par le traité de Westphalie de 1648 ("cujus regio ejus religio") afin d'éviter de nouvelle guerres sanglantes au nom de la religion (concept plutôt "idéaliste"). Désormais, les affaires internes d'un pays ne concernaient plus que son dirigeant. Les idéalistes en revanche introduisent une nouvelle catégorie dans ce domaine: celle de la morale et partant, de l'altruisme. Tout d'un coup, il faut agir sur la scène internationale non parce que cela sert l'intérêt national, mais parce que c'est "juste" de le faire. La décision du président Wilson de rentrer en guerre en 1917 était motivée par des considérations de cet ordre. En revanche, le lobbying en faveur d'une entrée en guerre qu'effectuait Teddy Roosevelt, président jusqu'en 1909, au début de la guerre en 1914 l'était pour des considérations d'ordre réaliste (éviter une Allemagne trop forte). Un coup d'oeil sur les "14 points" de Wilson forumulés à la fin de la guerre et son initiative de la Société des Nations confiment cela. Sous l'impression du carnage européen, la guerre est bannie des moyens acceptables et elle est désormais vue comme un fléau à éviter à tout prix. D'ou le nom de "War to end all wars". L'idéalisme veut promouvoir les idéaux humanistes, la paix, le droit à l'auto-détermination, les droits de l'homme etc. et il veut mettre fin au "cynisme froid" des réalistes. L'idéalisme est d'ailleurs bel et bien une invention américaine. Ce qui est alors ironique, c'est que l'idéalisme wilsonien a été inventé pour mettre un terme au guerres causées par un "trop" de réalisme alors que le réalisme Westphalien avait été institué pour la même raison... Il arrive que l'on parle aussi des institutionalistes, de ceux qui croient donc en la priorité des institutions internationales. Je les laisse de côté car ils me semblent être des héritiers de la famille des idéalistes. J'en ai oublié d'autres? Désolé. Venons-en donc aux néo-conservateurs. Je ne suis pas le mieux placé pour parler de leur histoire, de leurs relations avec les démocrates américains, de leurs inspirations. D'autres seraient bien plus aptes à cela. Leur concept de la politique internationale américaine est cependant fortement influencé par des idées idéalistes: le fait que la promotion de la démocratie doit être un but principal de la politique américaine. La situation interne d'un Etat comme l'Irak, l'Ukraine, la Géorgie, voire de l'Iran importe donc tout d'un coup beaucoup. Dans la conception néo-conservatrice, le monde devient un "endroit meilleur", s'il est démocratique. Cette approche est complètement étrangère aux réalistes, ils s'en contre-balancent royalement de savoir si le monde devient plus agréable à vivre ou non. Ce que l'on pourrait faussement qualifié de "réaliste" chez les néo-cons, c'est l'acceptation de la violence comme moyen légitime pour atteindre ce but fixé. Mais je pense que cela serait erroné car cet approche négligerait alors la différence de but ou d'orientation de l'école réaliste. La force a toujours été acceptée au moins comme ultima ratio par ceux qui font de la politique (c'est la raison pour laquelle les pacifistes ne font pas de politique respectivement sont rapidement victime du Darwinisme dans ce domaine à défaut de s'adapter). Je dois ajouter que je ne pense pas qu'une école vraiment pure existe en pratique. Ce sera toujours un mélange effectué et c'est la pondération des différents éléments qui variera. Les néo-conservateurs ne seront donc jamais seulement "néo-conservateurs". Eux non plus, n'ont pas entièrement perdu la tête et ils se posent aussi la question de savoir ce qui est "faisable" et ce qui en vaut la peine. Ils ne se prennent pas pour Jésus. En m'appelant néo-con bismarckien, je voulais souligner ces deux approches qui je partage. À la base, je suis clairement réaliste. Bismarck était le roi du réalisme. C'est lui qui disait que "la politique, c'est l'art du faisable". Je suis moi-même pour du pragmatisme carrément obsessionnel en cette matière. Dans mon profil, je rappelle d'ailleurs que je ne crois pas que les relations internationales sont de nature cartésienne (ni kantienne, on pourrait ajouter). Ce qui est bon dans un cas ne l'est pas forcément dans l'autre. J'avoue aussi me moquer un peu des attitudes idéalistes en politique internationale, car, en dernière conséquence, je les tiens pour suicidaires (et au mieux: pour perdantes). J'en veux pour exemple l'opération américaine en Somalie au début des années 90. Je crois donc qu'un Etat doit s'abstenir d'agir si cela ne correspond pas à son intérêt égoïste de le faire et je pense aussi que la guerre n'est pas toujours l'alternative la moins acceptable. Cependant, pour ce qui est de l'orientation d'une politique internationale, je crois en effet que la démocratisation de pays et l'"éloignement" de tyrans est en soi la bonne route à prendre car cela peut aboutir à une situation proche du "Balance of power" (Jack, le bon terme en français, stp?). "Malheureusement" ce genre d'évolution a souvent besoin d'énérgie exogène, c'est à dire d'un coup de main venant de l'extérieur, qu'il soit armé ou non. C'est en cela que je suis bismarckien néo-conservateur. |
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