Voici un article (en format pdf) d' Eugène Ionesco, paru dans les années 70. Le relire m'a rappelé ces années de jeunes révoltés quand nous nous lisions mutuellement des poèmes de Rimbaud, où les chants de Maldoror (que je n'ai toujours pas fini de lire...!) étaient le summum de la beauté et où les infortunes de Justine accompagnaient mes trajets matinaux en train en allant à l'école. Bref, ce post est aussi un peu en souvenir de ces nombreuses soirées avec beaucoup de bières et encore plus de clopes roulées (heureux d'avoir quitté ce mâââl). L'intéressé se reconnaîtra! Oser ne pas penser comme les autres
Ne pas penser comme les autres vous met dans une situation bien désagréable. Ne pas penser comme les autres, cela veut dire simplement que l'on pense. Les autres, qui croient penser, adoptent, en fait, sans réfléchir, les slogans qui circulent, ou bien, ils sont la proie de passions dévorantes qu'ils se refusent d'analyser. Pourquoi refusent-ils, ces autres, de démonter les systèmes de clichés, les cristallisations de clichés qui constituent leur philosophie toute faite, comme des vêtements de confection? En premier lieu, évidemment parce que les idées reçues servent leurs intérêts ou leurs impulsions, parce que cela donne bonne conscience et justifie leurs agissements. (...) Il y a aussi le cas de ceux, nombreux, qui n'ont pas le courage de ne pas avoir "des idées comme tout le monde, ou des réactions communes". Cela est d'autant plus ennuyeux que c'est, presque toujours, le solitaire qui a raison. (...)
Depuis toujours, j'ai l'habitude de penser contre les autres. (...) Il y a à cela, sans doute, des raisons psychologiques dont je suis conscient. (...)
Mais qui sont "les autres"? Suis-je seul? Est-ce qu'il y a des solitaires?
En fait, les autres, ce sont les gens de votre milieu. Ce milieu peut même constituer une minorité qui est, pour vous, tout le monde. Si vous vivez dans cette "minorité", cette "minorité" exerce, sur celui qui ne pense pas comme elle, un dramatique terrorisme intellectuel et sentimental, une oppression à peu près insoutenable. (...) Souvent, rompant avec le "tout le monde" de mon milieu restreint, j'ai rencontré de très nombreux "solitaires" appartenant à ce que l'on appelle, à juste raison, la majorité silencieuse. Il est très difficile de savoir où se trouve la minorité, où se trouve la majorité, difficile également de savoir si on est en avant où en arrière. (...)
Nous ne sommes donc pas seuls. Je dis cela pour encourager les solitaires, c'est-à-dire ceux qui se sentent égarés dans leur milieu. Mais alors, si le solitaires sont nombreux, s'il y a peu-être même une majorité de solitaires, cette majorité a-t-elle toujours raison? Cette pensée me donne le vertige. Je reste tout de même convaincu que l'on a raison de s'opposer à son milieu. (...)
Croyez moi, vous, mes chers lecteurs, rassurez-vous, chacun de vous a raison. Ce sont les autres qui ont tort. Toujours. (...)
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