Une discussion intéressante a lieu sur le site de Ludovic sur différents aspects de la guerre contre le terrorisme actuelle. J'ose bien à peine le croire, mais il est possible que tout le monde ne lise pas le blog de mon ancien chef militaire aussi régulièrement que moi. Je choisis donc la méthode facile et je mets ici deux commentaires que j'ai eu l'occasion de poster chez Ludovic. Ce n'est certainement pas la toute dernière sagesse, mais cela me permet de rassembler un peu mes propres idées. posté à propos de La fragilité de l'attrition: Si on essayait de définir l'ennemi du grand combat qui est mené "de nos jours" en une phrase, serait-ce vraiment la guerre contre le "terrorisme"? Ou pas plutôt la guerre contre les ennemis islamistes armés de la démocratie occidentale? Je plaide pour une dénomination honnête de l'ennemi. Car honnêtement, nous n'en avons rien à cirer des petits terroristes locaux tels IRA ou ETA... Je vulgarise un peu, certes. Mais je trouve que tant que l'ennemi n'est appelé par son nom, le combat perd de son efficacité. posté à propos de l'Europe dans l'engenage de la guerre: Je commence par souligner que je me rends parfaitement compte du besoin légitime des Américains à extraire des informations de gens qui en detiennent (nous en profitons également en Europe).
Je n'aime pas faire dans les grosses comparaisons, mais tout de même: Durant mon activité professionnelle, j'ai eu l'occasion de voir des hommes sur lesquels s'étaientt abattus la police et la justice. Ils avaient été arrêtés pour différents motifs (à tort ou à raison) et clamaient bien sûr leur innocence tandis que les juges d'instruction (on les appellent "Staatsanwalt" à Zurich, mais peu importe, je parle des chefs de l'instruction policière et de l'accusation en première instance) étaient convaincus qu'ils avaient commis toutes les horreurs possibles. J'ai alors appris à apprécier notre système légal qui veut qu'un juge soit désigné pour verifier et approuver ou infirmer la "mise au frais" de l'intéressé. C'est important parce qu'un juge est (en règle générale) quelqu'un d'impartial et d'intelligent qui prend son boulot au sérieux. Les Américains connaissent d'ailleurs très bien cette institution dite "habeas corpus". Cela ne signifie rien d'autre que l'obligation d'un Etat de justifier et d'expliquer une arrestation face à un juge. C'est en fait complémentaire au monopole de la violence qu'a l'Etat. Ce n'est que de cette manière que l'on peut s'assurer que l'État exerce son droit d'arrêter des gens de manière légitime, c'est à dire avant tout, de manière proportionnée et légale.
Ce qui me dépasse par contre, c'est que les Etats-unis se dispensent maintenant de toute obligation de "rendre compte" sous prétexte d'être en guerre (Ils n'ont toutefois jamais avancé l'argument fascistoïde du: "Ils sont contre nous et n'ont pas nos valeurs - qu'ils ne les réclament pas alors, tout est permis contre cette racaille"; même Goering, Eichmann et Marwan Barghouti avaient droit à un véritable procès). Certains disent maintenant que Guantanamo n'est pas territoire américain et que donc la législation américaine ne s'y appliquerait pas - laissez-moi rire. Les Américains y exercent un véritable pouvoir étatique, c'est eux qui ont la maîtrise de tout ce qui s'y passe (Je ne pense pas qu'ils aient demandé l'autorisation de construire à Castro...). Cela est suffisant pour les rendre responsables de ce qui s'y passe.
Un État moderne et civilsé bâti sur des valeurs "occidentales" se doit de respecter un noyau élémentaire de certains droits fondamentaux. Il va de soi qu'une situation peut exiger la restriction de certains droits. L'exemple de Ludovic de la Suisse en guerre [période pendant laquelle certaines libertés sont limitées - ed.] est aussi trivial que bon. C'est évident. Mais il ne faut pas confondre principe et modalités. Le droit d'avoir accès à une instance judiciaire indépendante qui vérifie mon emprisonnement (ou toute autre restriction de ma liberté) est un des principes majeurs qui régissent mes rapport avec l'État. Bafouer ce principe est la qualité d'États totalitaires. C'est pour cela que je disais sur mon blog que les Américains sont "un-american" à Guantanamo. Ils y violent l'esprit même de leur déclaration d'indépendance, de leur constitution et de leur bill of rights.
Ce que j'exige n'est pas une application stupide et à la lettre des Conventions de Genève. Mais j'attends des Etats-unis d'instaurer des procédures légales dignes de ce nom pour traiter de la question de manière générale en attendant que les Conventions de Genève soient révisées et adaptés. Il est intolérable d'emprionner des hommes depuis plus de quatre ans et sans limite dans le temps, sans avoir eu une fois à verifier leur statut et leur responsabilité. Les Américains se doivent de vivre selon leurs propres valeurs fondatrices. J'ajouterai pour le protocole que je n'estime pas que la question de Guantanamo relève en priorité du droit international. Il y en a certainement des aspects, mais étant donné qu'il ne s'agit pas de relations internationales à proprement parler, la question est essentiellement d'ordre interne. |
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