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Le Mont de Sisyphe
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Je suis beau et intelligent. À part cela, je suis juriste helvète, libéral-conservateur, amateur d'armes, passionné d'histoire et de politique. Je suis libéral et capitaliste convaincu car je pense que c'est cela l'état naturel de l'homme. Je parle le "Schwiizerdütsch" avec un accent zurichois, j'adore la bonne musique, la bière et surtout la femme avec qui je vis.


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Sunday, April 23, 2006

Kissinger sur la guerre préventive

Via ¡No Pasarán!:

Henry Kissinger se prononce sur la nécessité d'intérger le concept de frappe préventive dans le système international. Je constate qu'il ne parle nulle part de "droit" (objectif) international mais uniquement de "droit" subjectif des Etats. Je suis bien entendu d'accord là-dessus avec lui puisque je considère le "droit" international comme étant uniquement l'expression d'une pratique courante entre Etats basée sur leurs intérêts nationaux respectifs. Ni plus ni moins. Je signale à l'intention de ceux qui liront la traduction française que là où Kissinger dit que la décision de renverser Saddam "rentrait dans le cadre" de l'intervention humanitaire, le traducteur a été un peu imprécis. En vérité, Kissinger note justement que l'aspect humanitaire était uniquement "un des motifs" de l'invasion de l'Irak.

Via Le Monde (original ici et dans le post supra):
Point de vue
Réflexions sur la force préventive, par Henry Kissinger
LE MONDE | 20.04.06 | 13h24 • Mis à jour le 20.04.06 | 13h25

La première fois que la doctrine de l'action préventive fut énoncée en 2002 par le gouvernement américain, elle fut attaquée comme allant à l'encontre des principes du système international qui avaient régné pendant trois siècles et étaient garantis par la Charte des Nations unies de 1945. Même si les dispositions de ladite charte étaient pour le moins ambiguës : l'article 24 prohibe l'usage de la force "contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique" d'un autre Etat, tandis que l'article 51 reconnaît le droit universel à l'autodéfense nationale.

Mais le système fonctionna à peu près correctement au cours des dernières décennies du XXe siècle. Les armes de destruction massive se répandirent relativement lentement, et il était encore inimaginable que des groupes autres que des gouvernements puissent en acquérir. D'où le rejet global d'une extension du droit à l'autodéfense à l'initiative par exemple d'un seul pays.

Le rapport quadriennal du gouvernement américain sur la stratégie nationale de 2006 a suscité moins d'hostilité. D'une part, parce que plusieurs pays ont fait l'expérience de nouvelles menaces émergentes, et d'autre part parce que la diplomatie américaine a laissé davantage de place à la consultation. Il a bien fallu admettre, même à contrecoeur, que l'action préventive pouvait se concevoir face aux pratiques internationales et aux nouvelles technologies, et que les règles existantes auraient dû être revues depuis longtemps.

Une commission a rendu un rapport dans ce sens au secrétaire général de l'ONU. Une étude des relations entre la doctrine de l'action préventive et les réalités mondiales actuelles a également été menée conjointement par le Hoover Institute de l'université Stanford et la Woodrow Wilson School de l'université de Princeton.

La stratégie préventive comporte une contradiction interne : elle est fondée sur des suppositions impossibles à prouver au moment où elles sont émises. C'est quand on est le plus libre d'agir qu'on en sait le moins. Une fois qu'on en sait plus, la liberté d'action a souvent disparu. Si l'on avait tenu compte des avertissements de Churchill, le fléau nazi aurait pu être détruit à un coût relativement peu élevé. Dix ans après, des dizaines de millions de victimes avaient payé le prix de la quête de certitude des diplomates des années 1930.

Aujourd'hui, la politique américaine doit trouver une solution à ce facteur d'incertitude. La question-clé est alors la suivante : comment définir la menace, et quelles institutions utiliser pour y faire face ? Si chaque nation donne sa propre définition du droit à l'action préventive, l'absence de toute règle commune aboutira à un chaos au plan international et encouragera la prolifération des armes de destruction massive.

Il va de soi que les Etats-Unis, comme tout autre Etat souverain, finiront toujours par défendre leurs intérêts vitaux nationaux - ils le feront même seuls, si nécessaire. Mais oeuvrer pour la convergence maximale de la définition des intérêts nationaux de tous les pays rentre aussi dans la définition de l'intérêt national. Toute politique qui serait fondée sur une puissance supérieure agissant unilatéralement dans le but d'instaurer un ordre international se condamne à un comportement expansionniste.

L'action préventive s'applique à un adversaire qui possède les moyens d'infliger des dégâts sévères, potentiellement irréversibles, et manifeste la volonté d'en user de façon imminente. Le droit de recourir unilatéralement à la force dans de telles circonstances est aujourd'hui plus ou moins admis, même si des désaccords subsistent quant à la définition de l'"imminence".

Les cibles les plus évidentes de la stratégie d'action préventive sont les organisations terroristes qui agissent depuis le territoire d'Etats souverains et sont capables de générer des menaces qui, jusqu'ici, relevaient des Etats nations. Qu'elles soient admises ou qu'elles s'imposent sur le territoire souverain, il n'est pas possible de dissuader ces entités d'agir puisqu'elles n'ont rien à perdre et qu'elles masquent l'origine de leurs attaques. On ne peut pas non plus négocier avec elles, puisqu'elles n'ont pas généralement pour objectif le compromis avec l'adversaire, mais l'anéantissement de celui-ci.

La question la plus importante soulevée par la doctrine stratégique du gouvernement américain concerne la définition générale de l'usage de la force préventive, à savoir les mesures visant à anticiper l'émergence d'une menace qui n'est pas encore imminente mais qui pourrait le devenir à un moment donné. Autrement dit, comment inverser le cours d'une situation qui, sinon, finirait sans doute par nécessiter une action préventive.

Aujourd'hui, les Etats-Unis ont tout intérêt à empêcher que des armes de destruction massive, et particulièrement des armes nucléaires, ne tombent entre de mauvaises mains. L'intérêt des pays aspirant à devenir de grandes puissances est exactement inverse : ils veulent se doter le plus rapidement possible de ce type d'armes ou, si on les en empêche, d'armes chimiques ou biologiques, soit pour leur propre sécurité, soit comme filet de protection pour mener des politiques autoritaires ou révolutionnaires. L'issue diplomatique à la prolifération repose donc en partie sur la capacité de la diplomatie à fournir des garanties de sécurité au pays auquel on demande de renoncer ainsi à la bombe.

Comment parvenir au juste équilibre ? Certains font remarquer que, jusqu'à la seconde guerre mondiale, il était admis qu'un pays pouvait légitimement entrer en guerre en cas d'agression ou si un agresseur modifiait l'équilibre des puissances au point de menacer la sécurité internationale. La politique étrangère britannique, par exemple, a fonctionné sur cette règle de base pendant deux siècles. Mais dans le monde contemporain, la pierre angulaire de la puissance n'est plus le territoire mais la technologie. Les armes de destruction massive modernes, de par leur existence même, apportent au pays qui s'en dote un gain autrement plus important que n'importe quelle annexion territoriale.

La capacité de menace s'accompagne d'une grande variété de moyens pour la mettre à exécution. Pour ce même courant de pensée, l'existence même de ces armes pousserait à l'action préventive, car l'équilibre de la terreur, qui était maintenu de façon précaire dans un monde bipolaire, est un peu plus perturbé à mesure que le cercle des Etats possédant des armes de destruction massive s'élargit. La dissuasion devient beaucoup trop compliquée lorsque de nombreux équilibres doivent être envisagés simultanément par de nombreux protagonistes. Il faut donc dans cette optique empêcher l'émergence de nouvelles puissances nucléaires, en dernier recours par la force.

Une autre approche consiste à établir une distinction entre les pays amis et les pays menaçants. Les Etats-Unis ont consenti par exemple au développement nucléaire de l'Inde, du Pakistan et d'Israël. Ils considéraient que les objectifs de ces pays étaient compatibles, à long terme, avec les leurs. En revanche, ils se sont vigoureusement opposés à la prolifération d'armes de destruction massive en Iran et en Corée du Nord, parce que ces deux pays sont gouvernés par des régimes à la fois autocratiques et hostiles.

Pour certains, la meilleure politique contre la prolifération consiste dans le renversement des régimes nord-coréen et iranien. Dans ce cas, la politique des Etats-Unis tiendrait moins compte de la prolifération elle-même que de la nature des régimes qui se dotent de la bombe. D'où cette question : les Etats-Unis permettent-ils à des gouvernements d'acquérir des armes nucléaires s'ils sont démocratiquement élus ? La sagesse serait de reconnaître que c'est la prolifération elle-même qui est source de menace et qu'un gouvernement même non hostile peut l'atténuer mais ne l'exclut pas totalement.

Les interventions humanitaires représentent un cas à part, qui ne survient que lorsque les circonstances ne menacent qu'indirectement la sécurité des Etats-Unis. Il n'est d'ailleurs plus alors question de sécurité : l'usage de la force préventive ne se justifie dans ces circonstances que par l'atteinte portée aux valeurs essentielles de la société américaine et de la communauté internationale. Voilà par exemple ce qui a motivé l'intervention de l'OTAN au Kosovo pour mettre un terme au sort fait selon des critères ethniques à une partie de sa population par un Etat reconnu - bien que cette organisation ait agi sans mandat du Conseil de sécurité. La décision de renverser Saddam Hussein, entre, elle aussi, dans ce cadre.

Paradoxalement, c'est dans les cas de génocide, comme au Rwanda et au Darfour, que l'intervention préventive s'est avérée la plus difficile à lancer. Aucun pays ne se sentant directement menacé, toute action, unilatérale autant que multilatérale en était empêchée - ce qui n'a pas aidé le système international et ses principaux acteurs.

La doctrine stratégique américaine des actions préventives est à mon sens correcte. Mais énoncer la théorie n'est qu'une première étape. Les concepts doivent être mis à l'épreuve d'événements spécifiques et concrets. Ce n'est pas seulement à partir de la menace, mais aussi en pesant les résultats et les conséquences qu'il faut analyser l'action. La participation du Congrès est en outre nécessaire si l'on veut s'assurer d'un soutien durable de la population. Mais une politique de prévention par la force ne peut contribuer au système international que si les initiatives américaines solitaires font figure d'exceptions et ne se transforment pas en règle de base pour la stratégie de Washington.

Les grandes nations ont également la responsabilité de ne pas laisser les Etats-Unis seuls faces aux nouveaux défis. Une approche commune est peut-être possible aujourd'hui. Nous sommes tous plus ou moins dépendants du système économique mondial et serons tous menacés si les idéologies et les armes échappent à tout contrôle. Aujourd'hui, le vrai défi à relever c'est l'instauration d'un ordre international viable avant que l'expérience d'une catastrophe ne nous y contraigne.

Traduit de l'anglais par Manuel Benguigui
© Tribune Médias Services Inc
Henry Kissinger est ancien secrétaire d'Etat américain, Prix Nobel de la Paix en 1973.
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